Plus de 40 % des adultes en France déclarent posséder au moins une collection, selon une étude menée par l’Observatoire des pratiques culturelles. Ce chiffre ne cesse d’augmenter depuis dix ans, toutes générations confondues.
Certains chercheurs relèvent que cette accumulation ne se limite pas aux objets rares ou précieux, mais touche désormais des biens de grande consommation, des expériences ou des tendances virtuelles. Derrière cette dynamique, une série de mécanismes psychologiques et sociaux s’active, révélant des logiques parfois contradictoires entre recherche d’identité, pression du groupe et quête de singularité.
Pourquoi la collection fascine-t-elle autant notre société ?
La collection intrigue, mobilise, passionne. Elle traverse les époques, dépasse les frontières, et ne s’enferme dans aucune catégorie sociale. Maurice Rheims, commissaire-priseur et académicien, voyait en elle une manière de « sauver l’objet de l’oubli », d’arracher à l’effacement ce qui risquait de disparaître. Le collectionneur, qu’il soit amateur de timbres, de livres anciens ou de figurines pop culture, joue un rôle singulier : l’accumulation devient un langage. C’est tout un récit personnel qui s’écrit à travers les objets, comme une signature discrète mais tenace.
Ce phénomène ne connaît pas de frontières. Francis Hofstein, à la fois psychanalyste et collectionneur, parle d’une tension constante entre plaisir, obsession et parfois souffrance. Sigmund Freud, lui, a scruté la syllogomanie, version extrême et pathologique de l’accumulation. Jean Baudrillard, de son côté, a décrit ce « système des objets » qui façonne notre imaginaire collectif et transforme la possession en pouvoir symbolique. Collectionner, ce n’est pas seulement accumuler des choses : c’est aussi collectionner le temps, les souvenirs, des fragments d’univers.
L’aspect psychologique n’explique pas tout. L’acte de collectionner s’inscrit aussi dans des rituels sociaux, comme l’a montré Erving Goffman : échanges, quêtes, présentations de collections deviennent autant de moyens de reconnaissance et d’appartenance. Pour Leibniz, philosophe et mathématicien, la collection permettrait même de reconstituer, morceau après morceau, un monde cohérent, perdu ou idéalisé.
Voici quelques aspects marquants de la collection selon les spécialistes :
- Collection : passion, obsession ou quête de sens ?
- Figures : Francis Hofstein, Werner Muensterberger, Maurice Rheims, Sacha Guitry, Jean Baudrillard, Sigmund Freud, Erving Goffman, Leibniz
- Entre plaisir, mémoire et désir de maîtrise, la collection éclaire les failles et les forces de notre rapport à l’objet.
Entre désir d’appartenance et quête d’identité : ce que révèlent nos collections
La collection naît souvent tôt, dès l’enfance, selon Joéline Andriana, docteur en psychologie. Les premiers galets ramassés, les images glanées, les figurines soigneusement alignées, les livres entassés sur une étagère : ce sont là les prémices d’un geste fondateur. Ce geste, loin d’être anodin, traduit un besoin de maîtrise et de distinction. Avec l’âge, il s’affine, se spécialise, prend la forme d’une quête de sens ou d’un moyen de combler un manque ressenti.
Les motivations qui poussent à collectionner varient, mais certaines constantes se démarquent. L’attachement à l’objet, la recherche de l’authenticité, le plaisir de la découverte, la volonté de se distinguer structurent ce parcours. Tout le monde s’y retrouve, hommes comme femmes, chacun à sa façon. Marie, amoureuse des livres anciens, parle de la « bibliomanie » comme d’un héritage familial. Jean, lui aussi collectionneur de livres, évoque ce sentiment de continuité, de lien entre générations.
Le désir d’appartenance s’exprime dans les échanges, la transmission, parfois dans une forme de rivalité bon enfant. La collection s’expose, se partage, devient le reflet d’une personnalité, d’un état d’esprit. L’objet, rare ou banal, porte en lui un récit intime. Collectionner, c’est affirmer sa singularité tout en s’inscrivant dans une communauté, celle des pairs qui comprennent cette passion.
Trois éléments structurent généralement ce rapport à la collection :
- Début précoce : souvenirs de l’enfance
- Motivations : maîtrise, sens, distinction, compensation
- Transmission : familial, générationnel, social
Comment l’obsession des tendances façonne nos comportements au quotidien
La frontière entre collection et accumulation compulsive se brouille parfois dangereusement. L’équilibre entre le plaisir de posséder et la nécessité de tout conserver vacille. La syllogomanie, trouble obsessionnel compulsif décrit par Freud, touche aujourd’hui 2 à 3 % de la population française. Il ne s’agit plus seulement de bibelots ou de livres, certains entassent des objets sans valeur, d’autres accumulent même des animaux, jusqu’à l’extrême du syndrome de Noé.
Dans le syndrome de Diogène, l’accumulation d’ordures et une négligence totale de l’hygiène mènent à l’isolement. Pierre, la soixantaine, vit barricadé : chaque pièce regorge de livres, personne n’entre plus chez lui. À force, l’isolement, l’anxiété, la dépression s’installent. Ce qui était autrefois source de plaisir se transforme en impasse. La collection devient carcan, et le monde extérieur s’efface.
À cela s’ajoutent les réseaux sociaux et la pression du regard des autres. Montrer sa collection, rechercher la pièce rare, se comparer, tout cela alimente un sentiment d’incomplétude. Désormais, le désencombrement s’impose comme une nouvelle norme. Certains professionnels encouragent la thérapie cognitive-comportementale pour redéfinir le rapport à l’objet, retrouver une distance saine, et sortir du cercle vicieux.
Les conséquences et pistes d’action sont multiples :
- Isolement social, anxiété, dépression : conséquences fréquentes
- Désencombrement et gestion budgétaire : premiers leviers d’action
- Thérapie cognitive-comportementale : approche recommandée
Accrocher, conserver, transmettre : la collection raconte nos failles et nos élans, entre soif de sens et besoin d’exister. Elle dessine, parfois à notre insu, la cartographie intime de nos désirs et de nos manques. Jusqu’où laisserons-nous nos collections façonner notre histoire ?